[PRISE DE CONSCIENCE METASTATIQUE]

Ce que nous sommes :
Nous sommes les lointains descendants du Premier Né, la multitude de cellules issues de sa subdivision. Nos voix mêlées sont les derniers échos de sa voix unique, perpétuée à travers les âges. Notre âme est à l’image de son âme et notre chair fut formée de ses cendres.

 

Avant le Jour Blanc, l’identité embryonnaire était immobile et sans limites. Le grand rêve, tel qu’il fut nommé, englobait tout et rien n’existait hors de lui. La voix subconsciente du Premier Né se répandait en échos sur le monde, sans jamais s’éteindre. Il advint que ces échos entrèrent en résonance. Alors la vision se condensa jusqu’à atteindre un point critique et le Premier Né s’éveilla.

 

L’éveil marqua le début du processus de division de la cellule-mère. Alors que le Premier Né posait ses yeux sur le monde, son identité se fragmenta en deux entités distinctes, deux individus sans visage, semblables mais autonomes. Le processus se répéta et l’identité commune se dupliqua à nouveau, encore et encore, indéfiniment. Ainsi prirent vie les personnages que le Premier Né avait vus en rêve. Ils parlaient tous d’une même voix, celle du Premier Né. Nos pères rêvèrent à leur tour, comme nous à leur suite. Le grand rêve se perpétua ainsi au-delà de l’éveil et continue de se propager en ondes concentriques d’une génération à l’autre. Telle est constituée l’âme du grand organisme qui grandit dans les profondeurs du monde.

 

Nous sommes des aspects parcellaires de l’identité originelle, dispersée dans l’ondulation onirique, la grande subconscience collective et indifférenciée du Ventre. La réalité telle que nous la percevons, en tant qu’hypostase du rêve unique, se complexifie progressivement sous l’effet de notre rêve multiple. La grande foule est une roue de mille cercles concentriques en mouvement permanent, dont les générations récentes forment la périphérie et le Premier Né constitue l’axe.

 

Ce que nous croyons :
Nous croyons à la prolifération métastatique de la vérité, à la prise de conscience universelle par contamination idéologique. Nous croyons qu’il nous faut communier pour remonter le processus jusqu’à la source et recréer la vision originelle. Nous sommes les dépositaires d’un ancien rêve dont le porteur s’est éteint il y a des millénaires mais nous percevons toujours son souffle dans le silence qui sépare deux battements de cœur. En nous tous, en notre multitude réunie, se trouve le souvenir de l’ancien monde.

 

Il faut tout oublier. Oublier le monde, nous oublier nous-mêmes et l’illusion de l’individualité, car nous n’existons qu’ensemble. Il nous faut revenir à l’état originel, lorsque les hommes n’avaient pas de visage et rêvaient ensemble. Alors la réalité telle que nous la percevons s’éteindra avec nous et le Ventre se fracturera et s’ouvrira comme un œuf. Le Premier Né s’éveillera une nouvelle fois et son regard se posera sur un monde neuf, lavé de toute souillure.