Presentation and interview in Hey ! Magazine #6

Tout d’abord votre nom d’artiste : a-t-on raison d’y voir une référence au nihilisme ? Si oui, dans quelle mesure vous inscrivez-vous vous-même et votre art dans ce courant de pensée ? Et de quelle manière vous ancrez-vous, au quotidien, dans celui-ci ? De manière plus générale, quand avez-vous pris ce nom ?

Il n’y a pas de référence idéologique particulière, mon nom d’artiste renvoie simplement à une absence d’identité  (Nihil est le latin de « néant »). Lorsque j’ai découvert internet dans les années 90, tout le monde utilisait un pseudonyme, et j’ai choisi celui-ci pour rester dans un anonymat relatif. Pendant longtemps j’ai refusé de signer mes travaux ou de donner des éléments de biographie sur mon site web. L’artiste devrait pouvoir s’effacer derrière son œuvre. J’ai dû remettre ce principe en question quand j’ai commencé à exposer… Les questions d’identité, d’individualité sont souvent posées dans mes images, par les visages effacés ou masqués par exemple.

 

Comment et quand avez-vous réalisé, ou décidé, que l’image serait votre medium d’expression ?

Il y a une dizaine d’années environ. A l’époque, je me consacrais à l’écriture. Au cours d’une période difficile, j’ai eu envie de me diversifier et de trouver une occupation créative plus ludique, et j’ai acheté un appareil photo. J’ai commencé par des photos d’exploration urbaine, puis de modèles en studio, en bricolant tout moi-même avec des lampes de chantier. Assez naturellement, l’image a repris les thèmes déjà présents dans mes textes et j’ai continué les deux activités en parallèle.

 

Votre maîtrise des outils de création digitale est impressionnante ; avez-vous suivi une formation et si oui quelle est-elle ?

J’ai appris par moi-même, et je continue sans doute à faire des erreurs de base, mais je n’essaye pas particulièrement de les corriger car leur résultat fait désormais partie de mon style. La manipulation digitale me permet de sortir du réalisme photographique, trop restreint à mon goût, de créer des images plus oniriques ou surréalistes. J’ai vraiment besoin de cette liberté créative supplémentaire.

 

Comment décririez-vous l’univers à l’œuvre dans vos images ?

Au début, c’était principalement un prolongement du roman que j’écrivais. Plus précisément, je m’efforçais de représenter les saints et les martyrs de la mythologie du Ventre (le roman en question). Progressivement, le périmètre de mes images s’est élargi et a évolué. On voit par exemple de plus en plus de paysages dans mes images récentes, alors que le Ventre est un univers souterrain. Mais les thèmes du roman, la quête mystique d’identité, la solitude existentielle, la transcendance, sont toujours présents et engendrent un univers sombre fait d’isolement et de silence, parfois de souffrance ou de recueillement. Mon imaginaire est alimenté par la mythologie et la culture populaire, le surréalisme et l’expressionnisme, l’art psychédélique etc.

 

Le corps est omniprésent dans vos œuvres ; et pourtant il apparaît  dans une forme de désincarnation où les attributs – notamment « genrés » – sont absents ; pourriez-vous développer ce point ?

J’essaye de créer des formes humaines archétypales, débarrassées des caractéristiques qui les différencient. Les crânes sont chauves, les visages sans expression, les caractères sexuels atténués. Ce sont des inhumains, des enveloppes sans individualité propre. Je m’intéresse à la neutralité absolue, au corps comme chrysalide ou comme vaisseau de l’âme, pas en tant que tel.

 

La couleur blanche semble occuper une place importante (notamment dans les œuvres ici publiées) ; pourriez-vous nous commenter l’importance qu’à pour vous cette tonalité ?

Le blanc, c’est le vide et l’aveuglement, l’effacement du monde. Avec mon intérêt pour la neutralité et le dénuement, c’est un choix assez logique. Mais ce n’est qu’un versant de mon imaginaire, je travaille dans des registres différents, des images blanches et sobres aux images colorées et grouillantes de détails, j’essaye de ne pas me limiter à un seul style pictural.

 

Les attributs de croyance (notamment la figure de la croix) semblent faire partie de votre vocabulaire visuel ; pourriez-vous développer ce point ?

Je suis passionné par la question religieuse depuis toujours, comme étudiant plus que comme croyant d’ailleurs. Je m’intéresse notamment aux ordres monastiques, au retrait du monde et à la transcendance. Je consacre beaucoup de temps à l’étude de textes sacrés anciens, notamment indiens, chrétiens et nordiques. Cette préoccupation se retrouve naturellement dans mes images.

 

Diriez-vous que votre art est perméable à votre environnement social et politique ? Et si oui, dans quelle mesure ?

Il n’y a pas d’art hors du temps, il reflète nécessairement la pensée conditionnée de l’artiste, mais j’essaye de rendre mes images intemporelles autant que possible. Mon art, c’est l’homme seul, confronté à lui-même et hors du monde, en communication directe avec le sacré, pas l’homme comme pièce d’un puzzle social. En cela, je  perpétue sans doute une tradition individualiste et anarchiste, pour laquelle la personne compte plus que la communauté. Je pense que tous les artistes ont un message à faire passer et un rôle social à jouer. Mon message, si j’en ai un, c’est la réclusion, le retrait sur soi et l’abandon de tout.