C’est dans l’univers sombre de Nihil que je vous emmène. Oui, je sais, ce n’est pas très « esprit de noël », quoi que, d’une certaine façon, on y trouve des icônes religieuses mais façon Apocalypse, et il paraît qu’elle aura lieu en 2012. Les photos de Nihil sont inspirées de son propre roman, Le Ventre, et mettent en scène des personnages tout droit sortis de nos pires cauchemars. C’est beau, esthétique et dérangeant, j’ai aimé. En plus, l’artiste est plutôt bavard sur son travail, alors profitons-en :

 

Salut Nihil, quand et comment as-tu découvert ce goût pour la photo ?

Ma vraie passion, c’est l’écriture. J’écris depuis mon enfance, et je ne fais de la photo sérieusement que depuis un an. C’est arrivé parce que l’écriture devenait pénible et peu gratifiante. Il m’a fallu un moyen de décliner mon univers autrement. Je n’ai pas un goût immodéré pour la photo, en fait. Je sais que certains confrères, avec une bonne lumière et un peu de technique, parviennent à arranger un peu la réalité, mais à mon goût c’est toujours trop ancré dans le matériel et l’organique et leurs images m’ennuient. Le monde matériel est laid et banal et ne mérite pas tant d’attention. Pour ce qui me concerne je m’oblige, grâce à la mise en scène, aux costumes, mais surtout à la retouche et la photo-manipulation, à m’éloigner au maximum de la réalité et à affronter directement mes rêves et cauchemars.

 

Quelles sont tes influences artistiques, aussi bien photographiques que picturales, cinématographiques ou musicales ?

J’ai été formé et déformé par des années de lectures centrées sur la mythologie et la religion. J’aime l’Apocalypse et les Upanishads et quantité d’anciens textes mythologiques et initiatiques… Mais aussi des mangas, des films et des jeux vidéos : Akira, Begotten, Planescape Torment, Blame, Valhalla Rising… Pour les images à proprement parler, j’aime énormément de peintres classiques et contemporains (Beksinski, Bosch, Lacombe, Dürer, Caravage, Kubicki, Brueghel…). Je ne m’inspire directement et de manière évidente que des statues de la cathédrale de Chartres et de l’ambiance de Silent Hill. J’écoute beaucoup de musique industrielle et ambient, des choses très sombres et / ou très agressives, du black metal, de la noise et tout ce qu’on pourrait imaginer comme bande-son de l’enfer.

 

Comment en es-tu venu à faire ce type de photos, souvent sombres et dérangeantes ? Est-ce une sorte de provocation ? Quelles réactions recherches-tu de la part du public ? Que veux-tu dire à travers ce travail ?

L’univers de mes photos est une forme édulcorée de l’univers de mon roman d’anticipation, Le Ventre, actuellement en cours d’écriture. A onze ans, j’écrivais et dessinais déjà des horreurs sur mes cahiers à grands carreaux, et j’ai continué pendant des années avant que qui que ce soit ne vienne m’expliquer que c’était sombre ou dérangeant.
Je ne cherche pas à communiquer avec le public, tout mon boulot consiste à me parler à moi-même et c’est déjà assez compliqué comme ça. Si les gens veulent attraper des bouts de ce monologue au vol et s’en emparer pour eux-mêmes, libre à eux.
J’ai fait des dizaines de photos de gens masqués, aveugles ou sans visage et je n’ai fini par m’interroger sur cet aspect que lorsqu’on m’a posé la question. Mon boulot parle essentiellement de mystique, de rejet du monde matériel et de fuite vers l’absolu, de recherche d’identité.

 

Quelle est la liaison entre tes photos et tes écrits ? Et les performances ?

Les images étaient d’abord une simple illustration de mon bouquin. Elles devaient servir à présenter certains personnages, mythes ou factions de mon univers, notamment pour le site web. Maintenant, je m’éloigne de plus en plus du livre et les photos tendent à former le noyau d’un univers un peu différent. Les préoccupations sont les mêmes, mais les codes, les symboles, les représentations changent progressivement.
Les performances organisées pour l’ouverture de mon expo n’étaient là que pour distraire l’attention du public, parce que je suis quelqu’un d’anxieux et qu’il m’a semblé préférable de proposer un maximum de divertissements aux gens qui ont fait l’effort de venir. J’en ai aussi profité pour écrire et réaliser une performance moi-même, cette fois-ci en lien direct avec Le Ventre, puisque c’était basé sur un extrait remanié du livre. C’était une expérience nouvelle pour moi et j’ai aimé. L’aspect multimédia est intéressant. Grâce à la musique, au texte et au jeu des acteurs, on peut assaillir le spectateur de toute part et lui en mettre plein les dents, parce qu’il ne faut pas oublier que l’art est un combat à mort entre l’artiste et son public. Peut-être que j’essaierai de rééditer ça.

 

Penses-tu faire partie d’un mouvement artistique ? Travailles-tu avec d’autres artistes ?

J’ai fini par m’agréger naturellement à d’autres gens qui travaillent un peu dans le même registre que moi. On est peu nombreux et on se croise occasionnellement aux expos des uns et des autres. Je ne crois pas qu’on puisse parler de « mouvement », puisque hormis deux ou trois endroits à Paris qui acceptent de nous exposer, on n’a pas vraiment de structure ou d’organisation commune.
Je travaille essentiellement avec des modèles, mais il m’arrive de collaborer avec d’autres gens, généralement sous la forme de divertissement. La base même du travail d’équipe, c’est le compromis, et mon inconscient dictatorial a un peu de mal à l’admettre. Du coup je préfère travailler avec des gens qui ne s’ingèrent pas dans le processus créatif.

Le bar La Cantada, 13 rue Moret – Métro Ménilmontant, expose quelques photos de Nihil, dans une ambiance dark et absynthesque.